lundi 10 février 2014

KANAKY 2 KANAK : 30 ANS DÉJÁ


N°8


KANAKY 2 KANAK : 30 ANS DÉJÁ

by Henri KALA-LOBÈ

Discussion basique et classique, dans un rade des Halles, autour d´une roteuse (bière), entre Kainf-Kainfri–Africains, de la Diaspora sur la démocratie et les Droits de l´homme (sur une Femme allongé), tant au Lédge (Village), qu´á Béng´(France). Donc discussion de Diasporiens ne rimant á rien, ne servant á rien, même pas á étancher une soif tenace.
´Y´avait là un Greun (Noir=Re-Noi ; Négre= Greun), seul. Un Kanak : Davel. Qui me fait comprendre que Denis Pourawa est á Paris, pour la grande exposition Kanaky, au musée du Quai de Branly (ex-Arts Premiers et Primitifs), du 23 Octobre 2013 au 26 Janvier 2014. Bien entendu, je m´y pointe les samedi 26 et dimanche 27 Janvier 2014…

Il y avait, á l´entrée de l´expo, trois grandes statues empreintes de rituelles générationnelles, en bois de l´écorce de l´arbre de la tradition, où coule la sève de l´intemporalité. On aurait dit de lilliputiennes miniatures des gigantesques statues de l´île de Pâques, en pierre de grande taille, monolithes inconnus d´une autre ère. (Botero a forcément dû puiser son inspiration dans ces deux écoles, Pâques et Kanak).
Il y avait aussi, au fil de l´expo, ces robes en cotonnade d´ « adieu foulard/Adieu madras », qui ressemblent tant aux tenues des femmes de Madagascar, sous le règne des reines Mérina, au XIXème siècle.

Et, il y eut ce pas de deux, duo de la danse pour la paix, « Trajectoires K », á l´auditorium, entre deux chorégraphes, nés en Nouvelle Calédonie, Laetitia Naud et Richard Digoué, sur les événements qui se sont passés là-bas, il y a trente ans déjà.

Deux des frères de Jean-Marie Tjibaou (leader du Front de Libération National Kanak et Socialiste), assassinés, en décembre 1984. Éloi Machoro, abattu par le GIGN, en janvier 1985. J-M Tjibaou et Yéiwéné Yéiwéné, assassinés par un militant extrémiste du FLNKS mécontent des accords France-Nouvelle Calédonie… Et le massacre carnage de la Grotte d´Ouvéa, avril 1988. Et tant d´autres encore !

Laetitia Naud, face au public, raconte. « En 1985, j´ai dansé « la mort du Cygne », dans mon village, Pwêêdi-Wiimiâ, situé dans la Province Nord, devant deux communautés en guerre… ». En fait, l´une des deux communautés était venue pour exterminer l´autre…
« J´avais á peine 15 ans… ». Aujourd´hui, « je rêve que le pardon que nous faisons sur scène, soit un jour fait par l´ État français á la hauteur du monde kanak. ».

2001, Laetitia Naud est á Saint-Étienne, quand elle apprend qu´une compagnie de danse contemporaine kanaky, la Cie Nyian, est  au festival d´Avignon. Ce sera ses premières retrouvailles hexagonales avec Richard Digoué, fondateur de ladite compagnie, qu´elle retrouvera, en 2005, en Nouvelle Calédonie. Nait l´idée de cette chorégraphie, en duo. Comme la concrétisation d´un rêve d´enfants, âgés de 6 et 7 ans, émerveillés par le grandiose spectacle  du Festival Mélanésie 2000, en 1975, á Nouméa.

Face au public, Richard Digoué refuse poliment de parler, nous gratifiant dun immense smile. Finalement, Denis Pourawa, poète et voix off du spectacle, prend la parole.
« La douleur est toujours là. C´est toujours très difficile, pour nous, de parler de ce qui s´est passé. ». Et la rencontre scénique, entre Calédoniens et Kanaks, est toujours difficile, poursuit-il.

Denis Pourawa avait auparavant travaillé, au Pays, avec Jean Boissery, un metteur en scène Caldoche (Béké, au Antilles ; Toubab, au Sénégal =Blanc), sur l´ « Œdipe », de Sénèque, « et le mal être de l´individu et de la société caldo-kanak ».

Il s´agit de partage entre Kanaks et « Calédoniens, nés au Pays, qui respirent notre terre, et connaissent nos secrets et mystères. ». Denis Pourawa évoque ensuite le père de Laetitia Naud, enseignant incarcéré, en Nouvelle Calédonie. Il évoque aussi l´assassinat de Pierre Declerc (autre Caldoche), dont la femme et la fille étaient présentes dans la salle. « Cet assassinat fut vraiment le déclic des événements de 1984. C´était en 1981. Jusqu´en 1984, j´avais 8 ans, á Kanala, la tension ne cessera de peser sur les populations, avec les touts premiers barrages politiques. Pierre Declerc était l´ami d´Éloi Machoro. ».
Silence… L´émotion est perceptible dans l´assistance.
« Jusqu´aujourd´hui, je n´arrivais pas á écrire sur cette période, top brûlante encore dans mon cœur et dans mon esprit. ». 
Laetitia le conforte : « Il fallait pouvoir verbaliser cette période. Enlever la censure pour parler de ce vécu, de ces événements. Créer une passerelle générationnelle. ».
Elle revient sur le spectacle : « Après la tournée, en Nouvelle Calédonie, nous nous retrouvons au Quai de Branly, pour la première scène parisienne de Denis ; c´était comme une mini résidence pour lui. ».

Le père de Laetitia était un agriculteur nantais, parti en 1962, comme coopérant (Volontaire pour le Service Militaire), pour être instit´ des écoles catholiques, en Nouvelle Calédonie. Où Laetitia est née, á Thio très exactement, de mère Calédonienne. « Il y avait un réel apartheid, en Nouvelle Calédonie », se souvenant de cette anecdote que lui racontait son père blanc, parti se baigné avec des locaux, noirs : « Vous allez salir l´eau pour mon bétail ! », lui jette un Caldoche mal embouché du coin… Colonisation, acculturation, dépossession foncière, déplacements des populations kanay et contrôle des déplacements des Kanak…
Son papa sera emprisonné 6 mois, « pour s´être juste engagé pour la dignité de l´être humain. Quel qu´il soit. ». Il sera amnistié. Donc, « il n´a pas pu, sur un plan purement juridictionnel, dénoncer le pourquoi de son incarcération arbitraire ».
 
Ce sera une prof ´de latin, de passage, qui lui intimera de monter sur Paris continuer la danse, après sa performance dans « La mort du Cygne ».

Ils sons tous là, assis au bord de la scène, comme assis sur les rivages de la plage de l´humanité. Les voix sont douces et posées, apaisées et apaisantes, nous embarquant dans le sillage nourrissant des îles perdues du bout du bout de l´Océan Pacifique, îles éperdues d´immensités nostalgiques. Comme si la France était devenue une île que bordent Océan Atlantique et mer Méditerranée et la Manche.

Ce précieux paisible caillou du Pacifique, apporta la dernière guerre d´Indépendance, en Francophonie.

Ce qui allait susciter des vocations indépendantistes aux Antilles (Action Révolutionnaire Caraïbes, Mouvement Indépendantistes Martinique).

 Ce qui allait déboucher sur la « revalorisation » des départements d´outre-mer (DOM), en régions (d´outre mer), et de territoires d´outre mer (TOM), en pays disposant d´un gouvernement. La Nouvelle Calédonie doit accéder á l´Indépendance, par référendum, en cette année 2014, du Centenaire de la 1éreGM.

Ces événements seront aussi le dernier soulèvement d´un Peuple Noir contre l´ Apartheid du développement séparé de la Grande Bretagne, et/ou du Statut de l´Indigénat de la France qui sévissait encore jusqu´en 1958, en Afrique Noire Francophone…
C´était il y a 30 ans déjà. Après Soweto, des 70´s, en Afrique du Sud, le mouvement kanaky sera la dernière escarmouche anti-apartheid et statut de l´indigénat á faire mouche ! 

Et puis, cette exposition de la « Kanakie » libre, au Musée du Quai de Branly, ne peut faire oublier ce Musée des Arts Africains et Océaniens, á la Porte Dorée, débaptisé en Musée de l´Immigration… déplacé en Musée des Arts Premiers et Primitifs, finalement devenu musée du Quai de Branly… pourquoi faire simple, quand on peut tout compliquer ! L´Afrique et l´Océanie allait de pair, á l´époque. De Canaque á Kanak. De Cameroun á Kamerun. Comme si ce «C» était trop caucasien pour un «K» révolutionnaire et contestataire !

Le tout en musique et dans la bonne humeur. Je me souviens de ma première rencontre avec la musique Kanaky. Cela ressemblait
tellement á du makossa (musique du Cameroun), que je me suis mis á danser ! Étonnés, d´aucuns Kanak de me demander où donc avais-je appris á danser sur leur musique (et la musique malgache ressemble au bikutsi -autre musique camerounaise-).

Il y eut aussi cette folle nuit, après la fermeture du musée. Une trentaine de Kanak, sur les trottoirs de la rue de l´Université, apportant une pacifique chaleur humaine pour égayer la grisaille hivernale ambiante, jusqu´á 4 heures du mat´, avec les riverains applaudissant, au balcon, cette improvisation de bienvenue. Sacré Funky Kanak  va !







 Crédit photos: Romain ÉTIENNE/Item